2015-05-29

"Archéologie…"


Nuit passée à la chaux : au fond du lit
mon corps fouille le matelas, coincé
par une âme insomniaque entre les plis
irritants des draps rêches et froissés ;
 

j’exhume par cœur une litanie
à voix haute de souvenirs passés
qui me rassurent, comme ces manies
trop commodes pour s’en débarrasser ;
 

ma chambre se fait mortuaire, crypte
silencieuse colmatée de bitume,
tel un sépulcre de l’ancienne Égypte ;
 

et dans l’air lourd de poussière posthume
erre ma felouque de pharaon
vers sa flamme au loin : triste machaon.

2015-05-21

"Hauts à bois…"


souches hors du temps
où grandissent des cadrans
dépourvus d’aiguilles
 

d’hirsutes crinières
peignées aux souffles contraires
déployant leurs limbes
 

détendeurs par veines
jusqu’au masque à oxygène
de sève solaire
 

semence à lumière
germant ses éclats de verts
dans la gemme bleue
 

l’horizon ourlé
par les pointes et filets
au voile céleste
 

entre obscur et clair
le double jeu vasculaire
du yin et du yang

2015-05-14

"Toxico chenille…"


Jour après jour devant ta glace
tu déplores le temps qui passe :
ta peau naguère satinée
désormais laisse deviner
le panorama en détresse
d’une enveloppe qui s’affaisse
et que l’usure sédimente :
paysage dans la tourmente
d’un haillon chiffonné en boule
plein de plis quand tu le déroules ;
tel le nuancier au nitrate
d’une photographie sans date,
ta coloration se flétrit
et vire peu à peu au gris
cendre de ces interminables
jours pluvieux où, inconsolable,
tu adhères aux carreaux mouillés
comme la honte au fer rouillé.

D’abord te crus larve ingénue
dont le temps était advenu
de préparer sa chrysalide,
d’où émergerait un humide
papillon aspirant aux cieux,
ainsi te calcifiant pour mieux
te fendre et mieux ressusciter.
Mais les bourgeons ont éclatés
bien des printemps et rien n’augure
que le mal qui te dénature
progresse vers sa guérison.
Alors tu languis l’horizon
en te demandant tout tremblant
si au lieu d’être le ver blanc
tu ne serais pas à l’inverse
le bois qu’il infecte et transperce,
et ton espérée renaissance
en vérité ta marcescence !

2015-05-10

"Mis en pli…"


Dès l’aube le terre à terre s’impatiente.
Il te jette hors, recycler son ennui.
Le jour sous caféine te tape dans le dos.
Stressé, tu vomis ton encre par terre.

Tes pieds tirent leur langue de bitume.
Elle lèche ta route puis l’absorbe.
Et forcément tu marches dessus.
Tu vas empreindre du noir partout !


Plus tard l’élastique reprend sa forme.
Le jour veut en finir, brusque ton reflux.
Mais tu ne peux plus aller qu’adagio.
En surchauffe, tu perds de l’huile brûlée.


Une flaque de nuit graisse devant toi.
Et forcément tu patauges dedans.
Mais tu ne glisses pas, cousu à ton pli.
Tu oublies qu’une chute romprait le cercle !

2015-05-03

"L’heure d’étai…"

Combien de fois par jour guettes-tu l’heure ?
Depuis que tu sais « lire » une montre,
combien de fois l’as-tu fait ?
Un nombre incommensurable !
Ta peur atavique de rater le temps
comme tu raterais un train,
comme si tu pouvais manquer celui-là
dont toujours entre en gare le prochain !
Tu te presses à la parade duodécimale
faire le tour du cadran,
ne perds pas une miette du défilé des trottantes :
ces semeuses en rond des mêmes cailloux blancs
déjà échelonnés au cycle précédent :
une ronde de lunes enchaînées,
tenues à l’œil massif de leur gardienne,
saisons après saisons qui se promènent
à sens unique dans la cour orbitale,
le long du mur étanche de la gravité.
Ô tu raffoles du manège à contretemps perdu d’avance,
l’écouter grincer ton quotidien
à intervalles qui scandent qui balisent chaque tournant de ta vie.
Mais n’est-il pas temps aujourd’hui
de te tourner la tête à un autre rythme ?
D’évincer la despote heure martiale
et passer à l’heure congénitale ?
De laisser les montres s’éteindre, se vider de leur temps,
puis au bout des aiguilles recueillir tout ce sang
pour perfuser ton cœur et serrer son ressort,
avant qu’il soit trop lâche ?
Tu ne voudrais quand même pas,
faute de l’avoir remonté,
parce que ça t’est sorti de la tête,
que ton vieux cœur s’arrête ?
Ne plus sentir l’oscillation faire grimper ton compte-jours ?
Perdre le fil de ton compte à rebours ?
Et, privé d’à présent, craindre d’être en retard
et te précipiter et arriver trop tôt
à ton dernier rendez-vous ?