2013-03-17

"Porte emporte…"

Tu te tiens devant la porte. Fermée. La porte parfois s’obstine à rester close. Paraît même y prendre un malin plaisir ! Tu ne comptes plus ces occasions où pour l’ouvrir tu t’es mis à la pousser alors qu’il fallait tirer, et réciproquement. Tous ces moments d’acharnement inutile avant de comprendre enfin qu’il te suffisait d’inverser ton geste pour que cède l’huis récalcitrant. Moments étonnamment toujours assez long pour que survienne cette panique absurde de rester enfermé ou de ne pas pouvoir entrer. La porte parfois est diabolique !

La porte est donc fermée, parce que selon Alfred de Musset : « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée ». Et tu restes là, debout face à elle, ne sachant trop que faire. Tes yeux sont rivés à la poignée qui brille, faisant par contraste comme régner autour d’elle une étrange semi-pénombre. Poignée que tu n’oses saisir puis tourner afin d’ouvrir la porte ; te demandant ce qu’il y a derrière ; ne sachant plus très bien de quel côté tu te trouves, si tu vas sortir ou au contraire entrer en franchissant ce pas.

La porte, en quelque sorte, efface temporairement la ligne infranchissable qui court entre deux mondes. Elle ouvre une brèche permettant l’accès à un côté depuis l’autre. Mais surtout, au niveau de cet entre-deux, elle met au jour son propre non-monde à part, indéterminé, transitoire. L’emplacement de la porte, point de passage d’une situation à une autre, dissimule un « infra mince » duchampien : une « surface infinitésimale relevant de deux mondes à la fois ». Au niveau de la porte est mise à nu la jonction toujours à venir entre deux espaces qui n’en finissent pas de se rapprocher, sans jamais parvenir à se rejoindre : une transition perpétuelle mêlant un avant et un après ; où nous nous abîmons inconsciemment pendant une fraction de seconde chaque fois que nous franchissons la porte, c’est-à-dire des milliers de fois au cours d’une vie. Laps de temps infime durant lequel nous ne sommes plus ni d’un côté ni de l’autre, tout en y étant à la fois ! Et si nous pouvions nous arrêter là, ni l’espace ni même le temps n’auraient plus aucun sens et, par conséquent, plus de prise sur nous.

Le lieu de la porte, si inoffensif, si commun, te semble tout à coup investi d’un effrayant pouvoir d’aliénation. La tentation est grande de demeurer là, sans avancer ni reculer, en suspension sur cette frontière, figé dans la dimension fractale de cet « infra mince » où tu n’es plus vraiment dans l’endroit d’où tu viens sans être pour autant dans celui où tu vas. Mais déjà hors de l’influence de ces espaces conventionnels où le temps s’écoule inexorablement. Alors tu te demandes si cette confluence de deux mondes cache le secret de l’immortalité, la fontaine de jouvence. Personne ne le sait. Car personne encore n’a jamais eu la folie de s’éterniser dans l’encadrement de la porte. Porte que l’on franchit c’est tout, sans même s’en rendre compte, des milliers de fois au cours d’une vie !

Tu finis par tendre le bras vers la poignée luisante ; par la saisir, sentir le contact légèrement froid du métal poli. Puis tu la tournes tout doucement, comme pour éprouver la douceur de ce rouage : il ne fait aucun bruit. Puis tu ouvres enfin la porte. Dernière hésitation. Avant de faire un pas…

2 commentaires:

  1. Juste j'adore, c'est bien pensé, bien écrit. Tu mets en lumière cette action ordinaire pour en faire de l'extraordinaire et c'est excellent. Dans un texte farfelu j'avais moi aussi disserté sur cet "infra-mince" en le nommant "sphincter astral". Un hiatus spacio-temporel qui permettait de passer de notre bonne vieille réalité à la demeure de "dieu".

    Puis j'aime cette instant où une vie bascule (voire plus), sur le fil...

    En tout cas j'applaudis toute réjouie :)

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    1. Merci Désirée pour ton passage si apprécié ! J'aime justement rechercher ce côté extraordinaire qui se cache dans les choses et les actes de la vie ordinaire. Ce que je me plais à nommer le mystère de la banalité qui nous fait basculer dans une autre dimension de la réalité perceptible. Un mystère que j'essaie d’appréhender à travers la photographie et les mots qui me passent par la tête. Et je me réjouis par la même occasion que nous partagions cela :-)

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