Malgré
leur apparente indifférence, j’aime mes chats de compagnie :
d’un amour désintéressé ne leur réclamant en retour que le
plaisir de leur présence sporadique. Et je sais que ces chats
m’aiment aussi et m’aimeraient encore quand bien même cela me
serait égal. Nous nous aimons c’est tout, à notre manière, à
l’occasion, sans en faire tout un plat. Assez pour vivre sous le
même toit, à moins que vivre sous le même toit nous ai poussé à
nous aimer à force de connivence induite par la proximité. Mais
qu’importe, seul le résultat compte et nous apprécions de vivre
côte à côte. Même si vivre est ici un bien grand mot : nous
partageons plutôt un abri commun où nous savons pouvoir nous
réfugier à tout moment si nécessaire, comme une sorte de camp de
base où nos chemins ne font que se croiser, car nos vies parallèles
ne pourront jamais se confondre. Des vies somme toute ordinaires,
caractéristiques de nos conditions respectives : pour l’un
d’homme moyen, plus souvent au bureau que chez lui, sinon accaparé
par les formalités quotidiennes ; pour les autres de chats
domestiques, régnant la nuit sur un territoire de chasse débordant
le jardin, quand ils ne dorment pas le plus clair de leur temps. Sous
ce toit donc, nous nous saluons, le cas échéant, toujours avec
plaisir, chacun selon son code que l’autre ne comprend pas, mais
toutefois reconnaît. C’est notre façon d’être ensemble, nous y
sommes habitués, et c’est d’ailleurs la seule possible compte
tenu de notre profonde différence, que nous acceptons cependant de
bon gré. Les choses vont ainsi, il n’y a pas là de quoi fouetter
un chat. Sauf à me demander si ce n’est pas l’extrême de cette
différence qui nous permet de l’accepter si aisément, sans
arrière-pensée, comme allant de soi. Car si nous nous ressemblions
davantage, tels des représentants d’espèces proches, nous aurions
sûrement des envies communes faisant de nous des concurrents. Et,
fatalement, cette rivalité nous intimerait de prendre l’ascendant
sur l’autre, pour le contrôler, le maîtriser, voire l’évincer.
Bref, nous serions contraints d’obéir à la loi du plus fort.
Alors qu’il s’avère tellement plus simple, presque naturel,
d’accepter l’étranger lorsque sa différence est absolue, sans
points communs nouant entre eux les fils jusque-là libres
d’existences propres, par des nœuds si délicats à défaire qu’à
la longue ils irritent et deviennent source de conflits. Partant,
beaucoup de gens tolèrent davantage les chats que leurs congénères,
n’imaginant pas que, peut-être, s’ils considéraient simplement
leurs semblables au même titre que leurs compagnons félins, tout le
monde vivrait bien plus heureux – entre chats !
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