L’heure du sommeil. Allongé dans le lit. Mes
paupières sont si lourdes que je peine à les tenir ouvertes.
J’éteins la lumière. Je crois naïvement que mes bâillements
irrépressibles ouvrent un passage direct vers l’anéantissement du
repos. Mais à peine suis-je dans le noir, à peine ai-je fermé les
yeux que mon esprit, encore profondément engourdi il y a tout juste
une seconde, s’éveille ! Comme s’il avait patiemment
attendu ce déclic toute la journée. Comme s’il savait que le
crépuscule de la lampe de chevet annonce l’heure imminente et
libératrice qui ouvrira enfin pour une durée incertaine l’huis
qui sépare le moi primitif de la conscience.
Des pensées informes se rassemblent. S’ameutent
en un troupeau sauvage et trépidant qui fait trembler la paroi au
fond de mes orbites. Tels les millions de litres d’eau d’une
retenue poussant de tout son poids sur les contreforts d’un
barrage. Mur opaque soudain muté en obstacle qui pourtant protégeait
jusque-là de la violence du jour la pensée brute, fragile comme une
espèce menacée que la fureur lumineuse aurait irrémédiablement
décimée. Mur qui se lézarde et ne tarde pas à céder.
Dès lors mes
pensées déferlent, montées des profondeurs où elles languissaient
tandis que je veillais en surface. Elles se démènent, se
bousculent, fusent de toutes part. Elles fourmillent le long de mes
nerfs optiques qui en sont tout excités. Sur ma rétine irradient
des trains d’ombre d’une noirceur plus dense et plus absolue que
la plus épaisse nuit, sur laquelle, par extraordinaire, ils se
détachent parfaitement. Étrange humeur obscure qui macule les
ténèbres. Les taches d’encre entament une sarabande hypnotique.
Elles ne cessent de s’élargir puis se contracter à tour de rôle,
de disparaître pour réapparaître aussitôt, de battre sans fin un
rythme immuable ; comme des vagues régulières léchant le
tréfonds de mes yeux inutiles.
Peu à peu des mots se forment. Sans
mots, la pensé ne peut s’incarner. D’abord un murmure inaudible,
incompréhensible, mais qui enfle rapidement jusqu’à parvenir au
tumulte tandis que les mots s’agglutinent en phrases. Des idées se
structurent…
J’écoute ce débordement
silencieux. Je m’écoute. Incapable d’échapper à l’emprise de
mon propre délire, buvant chaque giclée de ce geyser au fur et à
mesure qu’elle jaillit d’un trou béant dans ma tête. Rien ne
semble pouvoir interrompre ce flot qui me submerge.
Je voudrais malgré tout m’endormir,
mais je n’y parviens pas. Une angoisse s’ajoute au bouillonnement
qui me tient éveillé : celle d’oublier, de ne pas retrouver
à mon réveil la moindre trace d’humidité laissée par ce déluge
flamboyant. Parce que ces sortes de pensées sont si fluides et
débridées qu’elles filent comme l’eau vive d’un torrent. Bien
trop rapides pour ma mémoire fatiguée, trop encombrée par les
futilités quotidiennes. Le quotidien dégoulinant de travers gluants
qui collent le cerveau à la voûte crânienne et l’immobilise,
obturant toutes sources d’inspiration, étouffant toute
créativité ! Et lorsque j’en ai désespérément besoin,
jamais aucun récipient n’est à portée de main qui me permettrait
de capter quelques gouttes au moins de ce précieux liquide ! Je
pourrais éclairer et tenter d’épingler au bout de mon crayon
quelques-unes de ces farouches illuminations, mais c’est peine
perdue : elles se dilueront aussitôt dans la lumière crue.
Reste l’alternative dérisoire de me tourner et me retourner encore
au fond de mon lit, d’un mouvement suffisamment brusque qui
chasserait loin de moi toutes cogitations par sa force centrifuge.
Une fois de plus, la nuit risque
d’être blanche. Quant au matin, il sera frustrant !
|
Tu dors avec moi c'est ça? ^^ Parfois trop galvanisée, incapable de contenir ce qui monte, je cède et allume la lumière. Mon bureau est dans ma chambre, le papier à portée de main, mais comme toi à peine la pointe du crayon se pose que son bruit soyeux chasse l'idée si lumineuse qui m'était venue. Pire il m'arrive d'écrire si vite qu'au matin je ne peux me relire. Ô frustration, colère, je me frapperai! Je tente quand même à haute voix mais rien, nib, que dalle.
RépondreSupprimerJ'aime toujours autant ta plume et ta façon pour ne pas dire ton style. J'aime beaucoup ce texte, merci de l'avoir partagé.
Le bon jour à toi cher David :)
Bonjour Dé !
SupprimerEt tout d’abord merci à toi d’avoir pris de ton précieux temps pour lire ma prose et réagir :-) C’est toujours un immense plaisir pour moi de te lire et en l’occurrence je peux tout à fait te retourner les mêmes compliments à propos de ton écriture :-)
Ta présence me manquait cruellement ces derniers temps. Je me demandais où tu étais passée ! Mais bon, tu es de nouveau là et j’en suis très heureux :-)
Je ne dors évidemment pas avec toi (soupir LOL), mais visiblement cela n’empêche pas que nous partagions les mêmes aléas « littéraires » perturbateurs de notre endormissement ! Pour moi c’est toujours la loterie, que je sois épuisé ou non, je ne sais jamais si je vais gamberger ! Et d’ailleurs c’est quand je suis le plus fatigué que je gamberge le plus ! Et quand c’est le cas, comme toi, je suis quasiment toujours frustré parce que je n’arrive pas à tirer parti des idées « lumineuses » qui souvent me viennent à ce moment-là ! Je suppose que c’est le lot commun de beaucoup d’autres tels que nous. C’est comme une espèce de malédiction ! Et fréquemment je me demande si les écrivains prolixes ne sont pas ceux qui, soit parviennent à capturer leurs illuminations, soit réussissent à être illuminés à tout moment, et notamment ceux les plus propices pour retenir. Mais je suppose que cela dépend beaucoup aussi de la disponibilité de l’esprit, autrement dit, qu’il ne soit pas accaparé par les soucis du quotidien ! En somme, on en revient toujours au même point : avoir du temps à soi ;-)
Te souhaite l’inspiration, très chère Dé… au bon moment pour n’en perdre aucune miette ;-)*
David
Tu vas rire: il m'est même arrivé de rêver mes poèmes. De me réveiller avec un texte complet, fini, comme si ma tête avait travaillé en sourdine, en arrière-plan, en arrière-sommeil...
RépondreSupprimerJe suis désolée de ne pas avoir été très présente, en fait je pensais beaucoup à toi t'avoir laissé en plan ne me convenait pas tu t'en doutes. Mais je n'ai jamais trouvé le ressort nécessaire pour traverser mon silence. Mes plus chers amis ont donc fait les frais de mon marais barométrique. J'ai été très perturbée par une vieille relation qui n'arrive pas à se terminer à vrai dire. Enfin bref je n'avais vraiment pas la force d'avancer. J'en suis la première navrée.J'espère que personne ne m'en voudra :)