Les photographies que j’aime sont des images plutôt banales,
des points de vue très ordinaires, représentant des choses que tout
le monde connaît et côtoie au quotidien. Des choses a priori sans
intérêt, disséminées dans les lieux communs de nos existences.
Mais qui m’attirent justement parce que personne ou presque n’y
prête attention : des choses occultées par l’angle mort des
habitudes.
En fait, ces photographies ressemblent beaucoup aux mots que
j’aime. Des mots simples, faciles, de tous les jours. Presque des
bases de la langue courante utilisée par tous et partout. Des mots
forcément un peu usés et patinés, mais confortables comme ces
vieux habits que l’on rechigne à quitter pour les mettre au
placard.
Car le mystère, j’en suis convaincu, ne réside pas dans
l’extraordinaire, dans l’exceptionnel qui, aussitôt apparu,
aussitôt consommé, aussitôt disparu, ne laisse aucune empreinte
durable, aucune question en suspend. Le mystère au contraire est
indissociable du temps, il ne peut s’établir que dans la durée.
Dès lors, quoi de plus mystérieux que l’ordinaire, en permanence
sous nos yeux, partout rémanent dans les décors monotones de nos
instants récurrents ? Quoi de plus énigmatique que l’horizon
de cette suite infinie de presque riens inlassablement mis bout à
bout ; que ce puzzle interminable et patiemment assemblé, une
pièce à la fois, jour après jour ? Ce puzzle tout entier
résumé, autrement dit révélé, en sa dernière pièce :
celle que personne ne voit jamais !
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