2012-08-25

"Pont des soupirs…"

Avez-vous déjà remarqué combien il est difficile de marcher sur un pont sans éprouver la curiosité d’aller observer ce qui se passe en dessous ? Est-ce dû à l’attraction du vide ? À la jouissance de voir les choses différemment, d’un point de vue surplombant qui pour une fois donne l’impression d’être le plus grand, de dominer l’environnement ? À l’exaltation de se sentir comme un oiseau qui tournoie juste au-dessus des éléments avant de fondre sur eux, s’immisçant avec une totale indiscrétion au sein de circonstances qui normalement demeurent hors de portée, cela en toute sécurité, en toute impunité, hors d’atteinte par la hauteur du pont qui protège et rend inaccessible, tel l’abri que procure le ciel ? Je dois bien avouer que les raisons de ce comportement m’échappent. Cependant, s’il existe une explication, je ne serais pas surpris qu’elle tienne dans une combinaison de ces différents facteurs, entre autres.

L’eau particulièrement est irrésistible sous un pont. Il y a certes le plaisir d’y voir circuler les bateaux, avec la sensation de se trouver à bord pendant le bref instant où ils passent juste à la verticale ; comme la jubilation de fixer avec une curiosité malicieuse, presque indécente, leurs passagers qui, heureusement, ne lèvent que rarement la tête ! Mais surtout, l’eau se transforme alors en un miroir horizontal peu ordinaire, dans lequel il est possible de se regarder d’une manière inédite, en adoptant en quelque sorte le point de vue de notre ombre qui nous observerait depuis le sol, la tête dans les nuages ! Le point de vue aussi d’une âme tourmentée, exilée du corps, privée de ses racines, qui au lieu de s’élever comme le ferait une âme en paix, glisse au contraire vers la terre, y cherchant dans l’ombre un refuge, avec peut-être l’espoir inavouable d’une communion possible avec les ténèbres !

Ainsi, ce jour-là, traversant le pont enjambant l’eau tranquille d’une rade (l’endroit importe peu), je ne pus évidemment résister à l’envie d’aller me pencher par-dessus la balustrade pour découvrir la perspective où mon reflet allait s’inscrire. J’ignore si c’est parce qu’il permet de s’envisager sous cet angle insolite d’où il est littéralement possible de « plonger » en soi-même, mais ce point de vue inhabituel m’invite fréquemment à l’introspection ; imaginant qu’il ne s’agit pas de moi dans le reflet, mais d’un inconnu, un anonyme qu’il me faut nommer à tout prix, une profondeur augurée sous mes pieds, que j’ai une irrépressible envie de sonder !

Je me penchais donc…

– Mais tout ce que je vis sous le pont fut l’eau sombre et troublée du port, charriant une grotesque flottille de détritus, dont les piètres gréements ballottaient de façon ridicule !

2012-08-19

"Point d’encrage…"

Piqûres de signes
À fleur de peau
Cousent des lignes
Mots sur mots.

Mémoire froncée
Perpétuant les rides
Des pages froissées
Aux passages à vide.

Cotte de derme
Où se peuvent lire
Encore les termes
Ourlés d’outre délires ;

Où tout se superpose,
Suturé, manifeste :
Fils de vers, draps de prose,
– Sur le cuir palimpseste !

2012-08-17

"L’âme y nage…"

Tenir tête hors de l’eau,
à contre courant,
à contre rouleaux ;
devenir transparent,
devenir insipide ;
épouser la houle
comme liquide
qui s’écoule,
sans afflux,
sans écume,
se dilue
dans l’amertume
de l’eau salée,
de trop d’iode
avalée.
À contre noyade,
nager, nager en nage,
aller, sel contre sel,
au clou du voyage :
à la ligne de ciel !

2012-08-13

"Circuit déprimé…"

De l’obsession d’y errer,
        à trop vouloir le percer, l’éden disparaît,
Établissant à sa place
        le miroir grossissant d’un cruel face à face,
Qui réfléchit les entrailles
        exposées par le crâne brisé, les détaille :
– Carte amère névrotique
        grouillant d’extravagants câblages éclectiques ;
Chaos d’interconnexions
        passant un courant noir aux circonvolutions ;
Champ macabre de neurones
        agonisant, soudés sur plaque de carbone !

2012-08-11

"L’éclat tait…"

La route éclairée
balise une voie royale
pour les zones d’ombre !

2012-08-08

"Hasard d’eux…"

Parfois, deux fétus immobiles
Réussissent à se toucher,
Miracle où le hasard jubile
À mêler des corps étrangers.

M’enlace, tige, dans la feuille
Et m’abandonne à l’attirance
De ces nervures qui m’accueillent,
Me promettant une autre errance ;

Tourne le dos à la lumière
Du jour, sournoise, qui calcine
La terre et la rend souricière,
Pierre tombale des racines ;

– Choisis l’éclat de l’inconnu,
(Seule lueur de l’habitude !)
L’étreinte des brins éperdus,
Blanchir nos noires solitudes !